Le Tam-tam virtuel des Elog Mpoo

Le Tam-tam virtuel des Elog Mpoo

L’Education dans la Société traditionnelle Mpoo

L'Education dans la Société traditionnelle Mpoo

(Tiré de Buhan, C & Kange Essiben E. (1986) La mystique du corps)

Dans la tradition Mpoo, l'accès à la connaissance permet l'entrée dans les secrets du groupe, nécessaire à la survie et à la continuité. L'éducation part du concret pour aboutir au concret, et est loin d'être une entité en l'air fondée sur des principes purement spéculatifs. L'éducation dans la société traditionnelle Mpoo part de la nécessité biologique de procréer, d'engendrer des hommes et des femmes qui à leur tour transmettront la vie. De la nécessité de maintenir ces hommes et ces femmes en vie, dans la solidarité et la cohésion sociale obtenue par la régulation des tensions. Il était par conséquent nécessaire de forme des personnes expertes dans la conduite des hommes et du groupe, capables de perpétuer le savoir, les valeurs, la sagesse de la tribu.

Dans la société traditionnelle Mpoo, il y a une éducation pour tous et une éducation sélective ou élitiste, toutes les deux ayant une même démarche éducative, quoique correspondant à des cadres propres. L'éducation, hormis les temps forts des initiations, qu'elle soit sélective ou qu'elle s'adresse à tous, part de la vie, aboutit à la vie, se fait dans la vie.

L'Education pour tous s'opérait au sein de deux institutions qui sont la famille et les classes d'âge.

L'éducation reçue au sein de la famille consistait à l'initiation aux travaux de la maison, des champs, à la chasse, à la pêche, apprentissage de la fabrication de l'huile, des palmistes ; éducation à la propreté, au service, au respect, à la solidarité et au souci de son frère, surtout au cours des repas, éducation à la rapidité, à la ponctualité.

Le « tronc commun » entre  garçon ou fille concerne les enfants jusqu'à l'âge de 5-6 ans à partir du sevrage. Ces enfants vivent principalement à l'ombre de leur mère de leurs frères et sœurs. Ensuite, survenait une séparation rigide des sexes et la division du travail. Les filles continuent à vivre avec leur mère qui les initie peu à peu à leur rôle de femme, d'épouse, de maîtresse de maison. Les garçons quant à eux suivent leur père qui leur apprend leur métier d'homme, la conduite des affaires villageoises, mes méandres de la vie sociale. Depuis les années 20-30 toutefois, une souplesse a pénétré ce système et on pouvait observer des garçons qui accompagnaient leur mère aux champs, les secondaient dans les travaux de la maison y compris la cuisine. Les filles à leur tour étaient admises avec leurs frères à partager le repas du père. Et si elles ne grimpaient pas aux arbres et ne prenaient pas part à tous les jeux des garçons, elles n'accomplissaient pas moins des travaux rudes comme le portage de l'eau ou la coupe du bois de cuisine. Cette éducation se faisait peu à peu à partir de ce qu'était l'enfant, sans le brutaliser. On lui indiquait les normes de la société, tout en lui laissant sa liberté d'être lui-même afin qu'il se révèle pleinement.

Le cadre de cette éducation se situait au sein de la famille restreinte, mais aussi dans la famille étendue : les frères de son grand-père sont ses grands-pères, les frères de son père sont ses pères. Leurs femmes sont respectivement ses grands-mères et mères. Tous ont le droit et le devoir de lui indiquer le chemin, de redresser ses faux pas. Mais parmi les foyers du village, en général il en est un (pas nécessairement le plus proche juridiquement) avec lequel la famille de l'enfant entretient des relations plus intimes au point d'avoir la possibilité d'y prendre ses repas en tout temps : si sa propre mère vient à s'absenter, l'enfant  une autre maman pour le nourrir. Mais en dehors de cette «famille-sœur», on apprend à l'enfant à ne pas mendier sa nourriture, à ne pas tendre la main. Il doit rentrer chez lui sans traîner à l'heure des repas. En dehors de ses frères et sœurs, et des adultes de la communauté villageoise, l'enfant se développe, évolue au milieu des autres enfants de on âge.

Les classes et associations d'âge qui comprennent les enfants nés au cours d'une même période d'environ deux à trois ans, allaités en même temps sont des groupes au sein desquels se développe une fraternité de lait aussi forte que celle du sang. Les enfants se considèrent comme des jumeaux unis par des liens que seule la mort dénouera. Elles constituent la deuxième institution de l'éducation pour tous, « écoles de socialisation » et «d'éducation mutuelle » du caractère entre membres d'une même classe d'âge ou d'une même association, mais aussi entre aînés et cadets, entre associations.

Ces groupes formaient le caractère, cultivent les qualités de générosité, de courage et d'abnégation. Ce sont les écoles de l'émulation, le lieu de la compétition. Les membres se pliaient à l'accomplissement des tâches par affection, par fierté et non par crainte ou par devoir, car la demande venait d'égaux et non de supérieurs.

Vers l'âge de 19 ans tous les enfants de sexe masculin devaient passer par l circoncision sans laquelle ils ne pouvaient accéder à la femme. Jusqu'à cet âge on éduquait le jeune homme à la maîtrise de soi et de ses pulsions dont il ne devra ensuite jamais se départir. Avant la circoncision les jeunes gens passaient plusieurs mois dans la forêt avec des initiateurs qui leur enseignaient leur métier d'adulte, les formaient au courage et à l'endurance. A cause  de l'école, les jeune gens accèderont plus tôt à la circoncision, avec moins de maturité, un temps d'exercices et d'épreuves raccourci. Dans les années 20, on la pratiquait entre 7 et 15 ans. Par la suite l'âge diminuera encore, et de nos jours la circoncision ne forme plus le couronnement d'une longue initiation à la vie sociale par laquelle les jeunes abandonnaient l'état d'enfance pour naître à leur vie d'homme adulte

L'Education sélective concernait ceux que l'on destinait à conduire le groupe, les futurs cadres politiques et religieux de la société : les prêtre-juges (ou coryphées) de l'organisation supra-clanique du Njee, les chefs de famille, de lignages, de clans, les détenteurs de fonctions et de pouvoir mystiques (guérisseurs, devins…).

est un système multifonctionnel de croyances et de principes d'organisation de la société. Les jeunes y de  étaient admis à partir de l'âge de 15 ans à la demande de leur père et devaient subir une initiation qui mènerait quelques élus parmi les plus capables, endurants et intelligents et surtout d'ascendance Mpoo  bien établie (à partir du père et de la mère Mpoo) à franchir les différentes étapes jusqu'à celle du Nje-nje.

L'éducation commençait dans la forêt pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Elle consistait aux cours ayant trait au développement des aptitudes physiques (exercices pénibles de courses à obstacles, grimpage, saut, abattage d'arbre en un temps déterminé), ainsi que des exercices développant les qualités de ruse, de patience, d'endurance et de courage. La discipline était de rigueur, les indisciplinés s'exposant aux durs sévices, aux brimades et les plus récalcitrants pouvaient même être « mangés par le Nje. Ensuite la formation s'étendait sur plusieurs années dans la cours des grands Banje-nje de tous les clans Mpoo. Elle consistait à l'étude de la médecine traditionnelle, le rôle, la composition et le fonctionnement des « sociétés secrètes », les techniques habiles d'empoisonnement, la sorcellerie, le vampirisme. Les adeptes apprenaient également le vieux bakoko qui sert de langue du Nje. Après ce « tronc commun », la spécialisation intervenait avec le choix de l'un des 4 cules du Nje. Le néophyte se rendait alors à la cour du Nje-nje spécialiste de cette sorte de culte pour la suite de sa formation à l'issue de laquelle il pouvait « atteindre le sommet de la connaissance du Nje » et devenir Nje-nje, coryphée mieux grand-prêtre et juge suprême.

L'autre éducation sélective qui devait conduire au titre des Bapepe, « gouverneurs » de la société au niveau de la famille restreinte et étendue, du lignage et du clan consistait à des stages de plusieurs années à l'intérieur de son propre lignage, mais surtout dans les cours des autres Bapepe, tant Mpoo que des groupes voisins. Cette formation devait faire de lui un « érudit », car par définition, le Mpe-pee est « celui qui connait les choses de l'univers, qui a une connaissance universelle ».  Il apprenait ainsi l'histoire de son clan, celle des différents lignages, des Elog Mpoo et des ethnies voisines, la géographie, l'éloquence, la médecine traditionnelle. Tout le long de sa formation, le futur Mpe-pee devait rendre de multiples services et offrir des cadeaux à celui auquel il devait succéder.

D'autres types d'éducation consacraient les possesseurs de charisme ou « consacrés aux esprits » (devins, guérisseurs, voyants) qui recevaient rituellement le pouvoir mystique ou charisme de guérir. Parmi ceux-ci, on peut citer les Bilemba, organisation strictement réservée aux femmes qui subissaient une initiation depuis l'âge de 5 ou 6 ans, et qui réunissaient toutes les qualités de maîtresse-femme, en particulier celle de fidélité à leur mari. Ainsi que les Bisima, une organisation qui joue le rôle d'intermédiaires entre les humains et les hommes de l'eau.

Les rituels d'initiation ou de consécration comportaient des gestes significatifs ou symboliques ayant pour but la purification, la naissance d'un homme nouveau, la transmission de la sagesse et du pouvoir comme :

-          le massage de la poitrine de l'impétrant par l'initiateur ;

-          les onctions d'huile sur le front, les épaules, la poitrine ;

-          le lavage du front, du visage ou de tout le corps avec de l'eau en signe de purification ou pour obtenir la chance ;

-          les aspersions de salive de l'initié ou dans sa bouche ;

-          le « corps à corps » avec un cadavre encore frais ou avec l'initiateur ;

-          les scarifications sur la poitrine, les ôtes, les poignets et les pieds ;

-          l'offrande par le candidat d'un animal ou de plusieurs animaux dont il devra manger l'une ou l'autre partie parfois crue.

Le choix des élus était minutieux et réfléchi, car s'opérant selon le même schéma, à l'intérieur d'une démarche éducative dont la méthode et les principes se retrouvent à tous les niveaux de la société y compris dans l'éducation de masse, en famille et au village. Ce choix pouvait se faire dès la naissance par un sage (Mpe-pee ou Nje-nje) sous le coup d'une intuition ou d'une illumination subite, ou après avoir détaillé puis déchiffré le facies du nouveau né.

Le comportement de l'éducateur était un facteur déterminant de l'éducation chez les Elog Mpoo. L'éducateur commençait par le stade prolongé de l'observation silencieuse des faits et gestes, des réactions du candidat (physique, démarche, façon de parler, entrée en communication avec les autres), mais aussi de l'écoute silencieuse de ses paroles, de ce que rapporte et raconte l'entourage au sujet de l'élu, des sobriquets et des surnoms qu'on lui donne et qui indiquent l'opinion de la communauté, surtout des personnes âgées. Ainsi, l'éducateur regarde, observe, écoute, attend. Il ne perd rien des gestes et comportements de son élève qu'il analyse dans les détails, sans en avoir l'air. Il semble parfois absent mis il est là. Il procède par touches fines et délicates, à demi-mots entrecoupés de longues périodes de silence où apparemment il ne se passe rien. Il saisit l'occasion fortuite, le moment propice pour dire ou transmettre quelque chose, et encore de façon incomplète. Il peut attendre 5 ans ou plus avant de révéler à son disciple un travers physique ou un défaut. Il lui laisse le temps de s'affermir, de progresser en d'autres domaines, afin que fort de l'acquis il puisse se mettre avec courage au travail pour ce qu'il reste encore à faire. Le sage parle le plus souvent en parables, par allusions. Le maître ne cherche pas à fourvoyer son disciple mais il veut lui laisser le temps de grandir. Il laisse au corps, à l'intelligence, à la mémoire, à la psychologie, au caractère la possibilité de se développer, de mâturer par eux-mêmes selon leur logique, de reprendre, d'assimiler à leur propre compte ce qui a été perçu. Le maître ne fait pas de cours magistral, il ne théorise pas. Il pose des actes et fait poser des actes concrets, le plus souvent sans donner d'explications. Il laisse au disciple la possibilité de s'interroger, de se poser des questions, de réfléchir par lui-même et peut-être de trouver un début d'explication. Par ses interventions il se contente souvent de faire jaillir, éclore ce qui sourd, d'y apporter un complément, de le conduire à maturation.

Cette éducation qui s'adresse à tout l'être -pas de connaissance sans praxis-, qui fit appel à la liberté de l'autre qu'elle respecte, et procède par régulation continuelle, attention soutenue et concrète au développement de la vie dans l'autre, nécessite du temps, de la patience de part et d'autre, chez l'éducateur de la maîtrise de soi, du courage chez le disciple. Elle ne pouvait efficacement et permanemment subsister aux « temps moderne » faute surtout au temps, à l'exode rural et à la distance qui séparent les enfants des maîtres de leurs villages, pour ne mentionner que ces raisons.

La religion chrétienne a ramené les Banje-nje à leur portion congrue. Les Bape-pee subsistent tant bien que mal. Les classes et associations d'âges ne sont plus qu'une histoire. L'éducation familiale est devenue lâche et inconsistante. La possession de charisme e fait au rabais et à la va-vite. Cette éducation est-elle entièrement incompatible avec l'éducation moderne ?



18/03/2010
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