Le Tam-tam virtuel des Elog Mpoo

Le Tam-tam virtuel des Elog Mpoo

Pouvoir politique dans la Société ancestrale Mpoo

Le pouvoir politique dans la société ancestrale Mpoo

(Article tiré de la publication du même titre de Cosme Dikoume, 2002)

 

Le système politique chez les Elog Mpoo qui était caractérisé par trois institutions à savoir :

-          les Bapε-pεε (singulier Mpε-pεε), équivalent de Mbombog en langue Bassa,

-          la société du Nje∂ et

-          les Associations d’âge,

est un système extrêmement complexe, où le sacré et le mystique cohabitaient le plus harmonieusement possible avec le profane dans la sauvegarde et la défense des intérêts communs de l’ensemble de la société.

Les Mpoo disposaient là d’un système de contrôle de pouvoir qui, tout en valorisant les qualités et les aptitudes individuelles, sauvegarde l’ordre social pour le bien-être d’un grand nombre d’individus. C’est une démocratie spécifique qui empêche l’instauration d’un système de dictature individuelle ou la domination d’un corps social sur l’autre. Car à l’origine, les Mpoo comme d’autres sociétés bantou, sont une société acéphale c’est-à-dire sans pouvoir politique centralisé. Ils n’étaient pas une société à chefferie comme les systèmes théocratiques du Nord (lamidats) et des royaumes des peuples d’origine Tikar (Bamiléké, Bamoun et Nso). Les chefferies ont en effet été introduites dans la société Mpoo par l’administration coloniale, et sont passées de chefferies coutumières indigènes d’inspiration coloniale à des chefferies traditionnelles. Quels sont donc ces institutions politiques, leur organisation, leur rôle et leur fonctionnement  qui permettaient à la société Mpoo de ne pas être une société anarchique au sens de plusieurs anthropologues européocentristes qui qualifiaient ainsi les sociétés acéphales?

 

Mpε-pεε

Le Mpε-pεε (mot qui vient de pεε « univers ») est « celui qui connaît les choses de l’univers ou, mieux, qui a une connaissance universelle (encyclopédique). Equivalent de l’ «érudit » moderne, le Mpε-pεε était, dans le contexte de la société ancestrale où la connaissance n’était pas « fragmentée » comme de nos jours, l’homme qui savait tout, ou du moins, beaucoup de choses, en tous cas, plus que les autres. La première des sciences de ces sociétés étant la sagesse doublée de la connaissance, Mpε-pεε était un sage, féru de l’histoire de son clan, celle des lignages, des Elog Mpoo et des ethnies voisines ; la géographie, l’éloquence, la médecine traditionnelle s’ajoutaient à ces connaissances et qualités. Ce n’est qu’après une longue éducation non seulement à l’intérieur de son lignage (lilom) mais surtout en passant plusieurs années dans les cours des autres Bapε-pεε, tant Mpoo que des groupes voisins qu’on devenait Mpε-pεε.

La fonction de Mpε-pεε est essentiellement héréditaire, mais est devenue accessible par acquisition à cause de la dispersion géographique des membres d’un lignage.

Selon les circonstances,  le pouvoir du Mpε-pεε revêtait le caractère d’un pouvoir paternel, de juge, d’avocat-défenseur et de législateur au niveau du clan voire du groupe ethnique. Ces différents aspects interféraient par ailleurs. Si la figure Mpε-pεε incarnait l’autorité permanente détenue par une personne au niveau le plus élevé de la société, cette autorité n’était pas absolue : les décisions importantes étaient prises à tous les niveaux par des conseils. L’autorité effective du Mpε-pεε ne dépassait pas le groupement familial ou ce qu’on a souvent désigné par « la famille étendue ».

En référence au système lignager, le fonctionnement du pouvoir  du Mpε-pεε peut être résumé de manière suivante :

Niveau du clan

 

Organe

Composition

Autorité

Pouvoir

 

Clan

 

Conseil (absolument)

 

Bapε-pεε de tout le clan

 

Circonstancielle

Législation, diplomatie, défense, justice (cour suprême) : crime et trahison

 

Lilom (lignage)

 

Conseil (nécessairement)

 

Bapε-pεε du lilom

 

Occasionnelle

Justice, éventuellement, problèmes fonciers (entre milom)

Nda -lilom

Conseil (nécessairement)

Bapε-pεε du nda-lilom

Occasionnelle

Idem

 

Di Nda-bot

 

Conseil (nécessairement)

 

Bapε-pεε du nda-bot

 

Occasionnelle

Administration des personnes et des biens (succession, héritage, justice…)

 

 

Di (segment)

 

 

Conseil (selon le cas)

 

 

Mpε-pεε + chefs de famille

 

 

Permanente

Education, gestion des personnes et des biens (funérailles, mariage, justice (conciliation), succession (cas faciles), adoption

 

Ekaga (ego)

 

Réunion de famille

Pères de famille + tous les adultes des deux sexes

 

Permanente

Politique domestique, entraide, division du travail, justice (querelles de ménages, conciliation

 

Il faut souligner que lors de la pénétration européenne, le personnage qu’on désignait comme « chef » aux explorateurs et, plus tard, aux missionnaires et administrateurs était Mpε-pεε. L’administrateur voulut en faire des auxiliaires en leur laissant le pouvoir de « chef indigène » ; malheureusement, la méfiance qu’inspirait la présence des hommes blancs obligea les Bapε-pεε à léguer auprès des étrangers des personnes issues de segments lignagers à filiation douteuse. Elles ont fini par s’imposer à la société et les véritables Bapε-pεε ont végété et sombré dans l’oubli et, avec eux, le pouvoir réel de la société ancestrale.

 

La société du Njee

Le njee est un système multifonctionnel de croyances et de principes d’organisation de la société qui plonge ses origines anciennes dans le panthéon commun des peuples qu’on trouve actuellement dans le sud-Cameroun, le Gabon et la Guinée Equatoriale.

Le Njee est un système de croyances, une cosmogonie et un culte ayant pour objectifs le maintien et la perpétuation des rapports avec les ancêtres, entre les morts et les vivants, la recherche et la réflexion chaque fois renouvelées sur la vie, la mort et l’existence même.

Le Nje∂ est « celui qui a atteint le sommet de la connaissance du Nje∂ ». « Celui qui est consacré Nje∂ ». Il est le grand prêtre et le juge suprême, l’ascète qui consacre sa vie au service du Nje∂.

Il est aussi le guérisseur des maladies graves : tuberculose, arthrose aigüe, lèpre, fractures, empoisonnements et autres maladies causées par les sorciers. Garant des traditions et de l’unité des Elog-Mpoo, Nje- Nje∂ était le dépositaire des reliques de tous les hommes valeureux et consacrait non seulement les adeptes de la société du Nje∂, mais encore les Bapε-pεε.

Avant d’y arriver, un individu passe par plusieurs échelons dont les membres avaient un rôle précis dans la société.

Les Bayi- Nje∂ (ceux qui connaissent le Njee) qui est le premier échelon ou simple autorisation à assister aux manifestations du Njee, qui restaient cependant interdites aux profanes.

 L’enfant y entre à l’âge de 15 ans, présenté par un père ou celui qui en tient lieu.  Après une première sélection, on devenait  « aspirant ».

Les Mbon Nje sont le résultat de l’initiation des Bayi- Nje∂, dont le but était d’éprouver la valeur physique, intellectuelle et morale des aspirants ; les Mbon Nje∂ sont les serviteurs de Nje∂. Lors des manifestations Nje∂, ils étaient les chefs d’orchestre ; ils formaient une milice chargée d’exécuter les ordres du Nje∂.

 

Les Balem- Mbon (Nlem Mbon au singulier) de Nlem « esprit malveillant » qui a le pouvoir de se dédoubler et Mbon « poison », est le néophyte qui connaissait tous les secrets du Nje∂ ; il portait même le titre de Nje∂, puisque celui-ci peut s’incarner à lui pour s’adresser au peuple.

Les Balem- Mbon étaient notamment chargés de l’ordre social, du maintien ou de l’aménagement des traditions en relation avec les Bapε-pεε, de la formation de la jeunesse et de la répression des sorciers. Leur autorité s’exerçait surtout dans le contrôle du pouvoir des Bapε-pεε et dans la répression des crimes et délits commis envers la société : meurtres, révélation des secrets de la société, trahison.

Les groupes et Associations d’âge

Dans la majorité des clans mpoo, la société était structurée en strates  ou groupes d’âge appelés sega, qui sont le regroupement des individus nés au cours d’une même période de 1 à 3 ans, ou les enfants allaités pendant la même période. Lorsque, dans une unité territoriale donnée, le nombre d’individus (garçons) d’une sega était important, ils se regroupaient en associations avec des dénominations précises dictées par les évènements ou la conjoncture qui les avaient vus naître ou qui avaient présidé à la constitution de leurs associations. La société mpoo aurait emprunté ce mode d’organisation aux Douala et Malimba en particulier.

Les groupes d’âge sont issus de deux conceptions que les Elog Mpoo avaient de la société.

D’une part, la fraternité sociale semblable à la fraternité biologique des membres d’une sega,  qui se considéraient comme des « frères et sœurs », avec la particularité qu’il n’y avait ni aîné ni cadet, mais de sortes de jumeaux, ce qui renforçait encore la cohésion entre eux. Cette fraternité était favorisée par les rapports de solidarité plus étroits qu’habituellement qu’entretenaient les mères allaitant en même temps, dont les enfants appartiendront à une même sega.

D’autre part, les Elog Mpoo croyaient que durant son existence, l’être humain franchit plusieurs stades dont l’ensemble constitue la vie complète normale d’un individu. A chacun de ces stades devaient correspondre une ou plusieurs sega (aînés, moyens, cadets) ; ces sega elles-mêmes évoluaient, selon eux, en un mouvement cyclique perpétuel correspondant au mouvement naturel de renouvellement de la société elle-même.

 

A chaque sega était assigné un rôle correspondant aux différentes étapes de la vie suivantes :

1)      Nsola mon (nsola = banane plantain jaune , mon = enfant), ou liceη-li-mon (liceη = salive, bave) ou encore ηkega ‘mon (œuf nouvellement pondu) qui s’applique de la naissance à l’âge de 3 mois .

2)      Nceη ‘mo o ‘mon correspond au bébé jusqu’à 2 ans au moins. Il porte un nom, mais le plus souvent, c’est encore un sobriquet.

3)      Mo n ntoga est le « petit enfant » de 4 à 8 ans ; cette étape commence après le sevrage.

4)      Mon, ou « enfant » s’applique à toutes les étapes antérieures ; il désigne plus précisément les 8 – 12 ans.

5)      O sand vi mud équivaudrait à « bonhomme », « une sorte d’homme » et correspond à l’adolescence (13 - 17 ans). C’est l’étape qui rompt définitivement avec l’enfance.

6)      O kaponda « pas tout à fait homme malgré les apparences ». c’est une étape de transition (16 – 19 ans) dont on sortait marqué par la circoncision et l’initiation au Nje∂.

7)      O wanda, jeune homme (20 – 35 ans) ; la distinction se fait avec naηag-a-mud, « adulte » par l’affirmation de la personnalité de chacun dans la société.

8)      Mbî-mud (de mbî « piquet, pilier, poutre maîtresse »), mot à mot « pilier-homme » (35 – 50 ans).

9)      Mmim-a-mud (de mmim « cœur, centre ») est considéré comme un homme ayant atteint le « milieu de la course » : 48 à 60 ans. C’est l’homme mûr.

10)  Nceη a mul, homme âgé, marque le début du déclin (55 à 70 ans) ; son rôle est de « conseiller » pour les affaires d’administration directe de la société, où on ne dirigeait que par personne interposée.

11)  Mmaη-a-mud est le vieil homme qui participe de moins en moins à la vie de la société, mais dont les avis de prudence ou de jurisprudence restent précieux.

12)  Nunug a mud,le vieillard normalement déchargé de tout pouvoir dans la société, et qui vivait le plus souvent reclus, dans un coin de la case ou dans le ntim.

La répartition des tâches et l’exercice du pouvoir se distribuaient selon le schéma général suivant :

a)      le pouvoir de décision revenait aux étapes 8, 9, 10, 11;

b)      le pouvoir de politique générale : législation, stratégie administrative : étapes 8, 9, 10;

c)      le pouvoir administratif de et d’exécution (gestion) : étapes 8, 9, 10;

d)      le pouvoir et les fonctions de production économique : étapes  5 à 9;

e)      les activités ludiques : étapes 4 et au dessus;

f)       les activités domestiques : étapes 4, 5, 6, 7.

 Les associations d’âge étaient des groupes de solidarité.  C’est là que naissaient les groupes d’entraide (yum, ekaghe), pour réaliser certains travaux : construction de maisons, abattage d’arbres, largage des pirogues, tous travaux nécessitant le concours de plusieurs personnes à la fois. Elles étaient aussi une école d’éducation mutuelle et de sociabilisation. Cercle de confidents, école de l’émulation, le lieu de la compétition, soit pour l’acquisition des femmes et des biens, soit pour les jeux (lutte, course de pirogues…).

Les associations d’âge n’ont jamais eu la force mystique et contraignante des lignages qui servent de cadre de référence, même celle mythique et magique de la société du Nje∂. Mais elles sont peut-être une des institutions de la tradition les plus capables d’affronter avec bonheur les exigences de la société moderne, surtout en zone rurale.

 



08/03/2010
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